Parmi les écrivains renommés qui se
sont intéressés aux échecs figure en bonne place
Edgar Poe.
On connaît la nouvelle qu'il a consacré à l'automate
joueur d'échecs du baron Kempelen, qui étonna l'Europe
et en particulier Paris peu avant la Révolution ("Le
joueur d'échecs de Maelzel", Histoires grotesques et
sérieuses - Livre de poche).
On connaît moins le passage suivant, tiré du préambule
d'une autre nouvelle célèbre ("Double assassinat
dans la rue Morgue", Histoires extraordinaires - Livre de poche),
dans lequel Edgar Poe compare dames et échecs:
" Je prend donc cette occasion de proclamer que la haute
puissance de la réflexion est bien plus activement et plus
profitablement exploitée par le modeste jeu de dames que
par toute la laborieuse futilité des échecs. Dans
ce dernier jeu, où les pièces sont douées de
mouvements divers et bizarres, et représentent des valeurs
diverses et variées, la complexité est prise - erreur
fort commune - pour de la profondeur. L'attention y est puissamment
mise en jeu. Si elle se relâche d'un instant, on commet une
erreur, d'où il résulte une perte ou une défaite.
Comme les mouvements possibles sont non seulement variés,
mais inégaux en puissance, les chances de pareilles erreurs
sont très multipliées; et dans neuf cas sur dix, c'est
le joueur le plus attentif qui gagne et non pas le plus habile.
Dans les dames, au contraire, où le mouvement est simple
dans son espèce et ne subit que peu de variations, les possibilités
d'inadvertance sont beaucoup moindres, et l'attention n'étant
pas absolument et entièrement accaparés, tous les
avantages remportés par chacun des joueurs ne peuvent être
remportés que par une perspicacité supérieure."
Le jugement de Poe sur les échecs me semble bien
sévère et surtout fort injuste.
Apparemment, l'écrivain américain ne considère
les échecs que sous l'angle des possibilités techniques,
les combinaisons, et fait de la stratégie l'apanage du jeu
de dames. Il oublie qu'en finale, avec un matériel réduit
(roi et pions par exemple), ce qu'il a dit des dames peut parfaitement
s'appliquer aux échecs.
Par ailleurs, je ne vois pas en quoi, aux échecs, la complexité
empêcherait la profondeur. A cet égard, l'"immortelle"
de Diemer, publiée par Dany Sénéchaud dans
le N° 7 du Bulletin de l'Amateur d'Échecs , me paraît
être un bon contre-exemple.
Qu'en pensez-vous ?
in Bulletin de l'Amateur, nĄ 8, 1998
avec l'aimable autorisation des anciens Directeurs de la Publication
Bernard Guérin et Dany
Sénéchaud
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