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Jeu d'Echecs et Histoire de la Raison
In Memoriam Dr Michel Roos Par Dany SŽnŽchaud
Cet article est une reprise partielle dâune Žtude plus longue qui considŽrerait une histoire des mŽthodes de jeu eu Žgard ˆ lâŽvolution (lâhistoire) des idŽes et mentalitŽs. LâidŽe de cette Žtude provient de la lecture du bel article de Michel Roos Ç les Echecs : de la magie ˆ la science È paru en 1966 dans les Cahiers rationalistes.
Reprise partielle pour une bonne raison : lâŽtude plus longue ˆ venir est dŽpendante de la lecture indispensable de diffŽrents Žcrits non encore disponibles en langue franaise. De ce point de vue, la rŽalisation de ce travail pourrait encore prendre· quelques annŽes !(*)

Voici tout de mme le plan dâapproche ainsi quâil est arrtŽ ˆ ce jour :

1/ - La pensŽe magique aux Žchecs : le domaine euclidien ;
2/ - Philidor ou la passion de la Raison analytique ;
3/ - Lasker et la praxis de lutte chez Sartre. La conception dialectique ;
4/ - Quid de lâEcole dite Ç hypermoderne È aux Echecs au XXme sicle ? ;
5/ - Deep Blue versus Kasparov : quâest-ce donc en somme que cela lâIntelligence du jeu ?
Addenda : repres chronologiques.

(·)

2. Philidor (1726-1795) ou la passion de la Raison analytique

Dans la PrŽface de lâŽdition de 1777, la deuxime Ždition augmentŽe de Lâanalyze du jeu des Žchecs de Philidor, Leibniz (1646-1716) est citŽ comme celui qui a reconnu un des premiers la scientificitŽ de ce jeu. Pour autant est-il permis de considŽrer que le raisonnement analytique dâÇ origine È leibnizienne nous informe sur la pratique thŽorique de Philidor aux Echecs ? Ne peut-on pas se demander de quelle manire Philidor, thŽoricien novateur aux Echecs, musicien renommŽ et ami des intellectuels, se ressourait aussi au bain des notions philosophiques et scientifiques de son temps ? (1)

Selon lâordre de lâhistoire de la Raison chre ˆ Hegel et techniquement ŽtudiŽe par les ŽpistŽmologues (les historiens des sciences), câest le raisonnement analytique qui a contribuŽ au dŽpassement de la logique classique euclidienne. A son Žpoque, lâabbŽ Yvon pouvait dire : Ç lâanalyse est la mŽthode quâon doit suivre dans la recherche de la vŽritŽ et aussi la mŽthode dont on doit se servir pour exposer les dŽcouvertes quâon a faites È. DâAlembert (philosophe du sicle des Lumires), quant ˆ lui, voyait lâanalyse comme lâinstrument privilŽgiŽ du progrs mathŽmatique : Ç elle fournit les exemples les plus parfaits de la manire dont on doit employer lâart du raisonnement ; donne ˆ lâesprit une merveilleuse promptitude pour dŽcouvrir des choses inconnues au moyen dâun petit nombre de donnŽes È. [ EncyclopŽdie, tome I (1751), p. 400-2 ]

LâidŽe novatrice de Philidor, dans son domaine, consiste ˆ dire que la thŽorie ŽchiquŽenne peut tre rationalisŽe en remontant aux principes de base : Ç la multiplicitŽ des coups naissent et succdent ˆ chaque instant de cette partie ne doit pas tre (·) un obstacle dâanalyse et de calcul È, affirme Philidor. Et encore : Ç un joueur qui ne sait pas (mme en jouant bien un pion) la raison pour laquelle il le joue, est ˆ comparer ˆ un GŽnŽral qui a beaucoup de pratique et peu de ThŽorie È. Le Champion Max Euwe commente cet apport deux sicles plus tard : Ç Philidor posa la premire pierre de lâŽdifice du jeu moderne de position. Il tira le jeu dâŽchecs hors de lâŽtroite observation euclidienne pour le faire entrer dans le monde sans limite de la pensŽe cartŽsienne (·) È. Toutefois, si le raisonnement analytique est thŽoriquement possible selon Philidor, il demeure que son application totale est uniquement envisagŽe ; est sujette ˆ la seule approximation. En outre, lâanalyse qui remonte aux premiers principes et la synthse qui redescend appliquŽe aux Echecs relve, comme il est sus-mentionnŽ, des mŽthodes scientifiques bien connues depuis Descartes (dŽduction-induction). Dâune autre faon, ne faut-il pas admettre que dans une thŽorie du jeu dâŽchecs les modles mathŽmatiques sont inemployŽs malgrŽ le terme utilisŽ dâ Ç analyse È ? En effet, une mŽthode idŽale, selon le modle analytique des mathŽmatiques, consisterait ˆ envisager tous les dŽveloppements possibles pour voir, selon des mŽthodes gŽnŽrales, si les Blancs qui bŽnŽficient du trait, ont un coup ou une suite de premiers coups qui leur assure la partie gagnŽe ou au moins la partie nulle, quelles que soient les ripostes possibles des Noirs ; un coup ou une sŽrie de coups sans rŽplique efficace au point de remettre en cause lâavantage du trait. [Toutefois, avec lâarrivŽe de lâordinateur (2me moitiŽ du XXme sicle) et ses capacitŽs Žnormes, mŽmoire et calcul, on revisite le postulat dâintelligibilitŽ totale (voir la thŽorie des jeux chez Leibniz, Couturat, La logique de Leibniz, p. 581-2, note XVII) ]

PrŽcisons que Diderot (1713-1784), ami de Philidor, a fait le plan de l'Ždition de 1777 de l'Analyze du jeu des Žchecs, a contribuŽ ˆ l'Ždition et a apportŽ des souscripteurs. Dans la lettre d'introduction qu'il fournit ˆ Philidor pour le Dr Burney (pour la version anglaise), il confie Ç c'est presque mon seul ami È. Pour la mention de Leibniz, il faut donc voir l'influence directe de Diderot. Les deux hommes Žtaient trs liŽs ; peu avant il avait invitŽ Philidor ˆ Žcouter sa fille au clavecin chez lui, et Diderot avait l'habitude de se rŽunir avec un ami chez la soeur de Philidor qui habitait aussi rue Taranne·

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Ecoutons Philidor l'A”nŽ, le propre fils de Philidor, Ç Philidor essaya de faire, avec l'abbŽ Chenard, une partie sans voir l'Žchiquier. Il en fit ensuite deux ˆ la fois de mŽmoire au CafŽ de la RŽgence, ˆ Paris [ frŽquentŽ par les philosophes des Lumires dont certains, ˆ l'instar de Jean-Jacques Rousseau, aussi amateurs ŽclairŽs de musique que de jeu d'Žchecs, devinrent ses amis (2) ]. Cette partie est racontŽe dans l'EncyclopŽdie (1751) de Denis Diderot et Jean Le Rond D'Alembert, ˆ l'article Echecs È. (Ç Biographie de Franois-AndrŽ Danican dit Philidor È, in Le Palamde, 1847)

Tout autant le parallle de lâanalyse des Echecs avec celle de la MathŽmatique semble-t-il aussi praticable que celui du monde des Echecs et du monde finalisŽ des EncyclopŽdistes du XVIIIme sicle ?

Pour ces derniers, le jeu des causes naturelles travaille dans le sens du Perfectionnement : la nature, par le jeu immanent de ses lois, se maintient dans un ordre ˆ peu prs cohŽrent. A ce niveau, la Ç pyramide des mondes È de la ThŽodicŽe de Leibniz trouve son Žquivalent dans les ElŽments de physiologie de Diderot. Par suite, la vie est attribuŽe ˆ la matire et dans une sorte de tableau animŽ, le monde sâorganise : ici, lâanalyse du hasard (et de la nŽcessitŽ) nâagit plus comme principe ou comme cause, mais comme instrument de prŽvision et dâaction [ voir PensŽes sur lâinterprŽtation de la nature de Diderot ]. Aussi, le monde nâest-il pas le fruit dâun miracle (thŽodicŽe) ni une production fortuite mais organisation lŽgifŽrŽe. De ce fait et par extension, ˆ lâendroit o Leibniz envisageait lâanŽantissement des Ç monstres È, Diderot dŽgage plut™t lâidŽe selon laquelle les Ç monstres È peuvent subsister dans le monde : seuls sont exterminŽs, dans ce jeu plus logique du monde, les tres contradictoires ; Ç ceux dont lâorganisation ne sâarrange pas avec le reste de lâunivers. È

Philidor, dans le monde restreint des 64 cases de lâŽchiquier, a travaillŽ tout autant ˆ lâexamen censŽ dâun Žquilibre global qui comporte une matire (les trois dimensions du jeu : matŽrielle, spatiale, temporelle) et une organisation, selon des Lois, de cette matire (lâŽlŽment structural et lâŽlŽment dynamique). La monstruositŽ, dans lâordre de la raison analytique aux Echecs, devenant tout coup (ou suite de coups) par examen clairement rŽfutŽ quant ˆ sa capacitŽ ˆ maintenir au moins lâŽquilibre positionnel.

Par la mme Philidor marque le fait que les Echecs mŽritent le statut de Ç science È et constituent un systme rationnel digne de lâefficacitŽ de la mŽthode analytique. [ pour un parallle avec Leibniz, voir Couturat, Ibid., chap. VI, p. 242-4 ]

Max Euwe ajoute : Ç Un sicle devait sâŽcouler avant de revoir lâre des pions du grand Franais rŽtablie par Steinitz et rŽvŽlŽe dans toute sa valeur È. Avec Philidor, gŽnial thŽoricien des Echecs du sicle des Lumires, le jeu se constitue en tant que systme rationnel : câest lâavnement des principes fondamentaux du noble jeu. En quelques sorte, marquant lâimportance des pions (thŽorie des cha”nes et pions passŽs), il rŽvle, par voie de consŽquence, celle des Ç buts intermŽdiaires È aux Echecs. W. Steinitz (1836-1906) dŽveloppa encore cette conception jusqu∠lâÇ attentisme È : le joueur moderne cherchera dorŽnavant ˆ tirer la Nulle ou le gain, sans jamais choisir de rompre de lui-mme lâŽquilibre positionnel.

(*) le prŽsent texte quant ˆ lui a ŽtŽ conu en 1996, mais seulement rŽdigŽ (et actualisŽ) en septembre 2002 !

(1) cet exposŽ de  la pensŽe de Philidor change de la citation tronquŽe "les pions sont l'‰me des Žchecs". Philidor veut inciter le lecteur ˆ inclure chaque coup dans un ensemble raisonnŽ. Les parties d'Žchecs-supports ne sont que prŽtexte ˆ ses petites phrases-commentaires pour illustrer sa mŽthode aussi refusera-t-il de modifier le contenu de l'Analyze· malgrŽ les critiques acerbes de ses collgues "amateurs" de la RŽgence qui ne jugent que la forme et non le fond. Philidor est rŽellement le point de dŽpart des Echecs modernes ŽtudiŽs scientifiquement. Cependant Philidor est avant tout un artiste musicien qui applique aux Echecs la mme rigueur scientifique classique que lui a enseignŽ Campra aux pages de la chapelle royale de Versailles pour la composition musicale ; Il avait le mme" tic" pour la composition musicale et le jeu d'Žchecs : un tournoiement du corps dont le mouvement le plus violent se situe dans les jambes. Bien qu'il ait ŽtŽ gŽnial, et curieux de tout, a beaucoup appris en observant autour de lui en Europe (il a ŽtŽ hors de France huit ans), ce n'est pas ˆ proprement parler un intellectuel mais un sensitif ; il ne thŽorise pas formellement mais indique comment on devrait penser en jouant. Ce sont les intellectuels qui lui reconna”tront la place Žminente qu'il a prise dans l'histoire de la pensŽe ŽchiquŽenne ; avant cela les amateurs lui ont rendu un autre hommage : le "Philidor" Žtait "le" livre d'Žchecs pendant plus de cent ans. (66 Žditions de lâAnalyze· de 1749 ˆ 1871 !) Au final, lâutilisation mme du mot dâ Ç analyse È dans le titre de lâouvrage montre bien lâinscription de Philidor dans son temps.

(2) Rousseau dŽcouvrit les Žchecs en 1733 avec un genevois nommŽ Baugeret : Ç il me bat une fois, deux fois, vingt fois ; tant de combinaisons sâŽtoient brouillŽes dans ma tte, et mon imagination sâŽtoit si bien amortie que je ne voyois plus quâun nuage devant moi. Toutes les fois quâavec le livre de Philidor ou celui de Stamma jâai voulu mâexercer ˆ Žtudier des parties la mme chose mâest arrivŽe, et aprs mâtre ŽpuisŽ de fatigue je me suis trouvŽ plus foible quâauparavant È (Confessions, livre cinquime). Avec son installation ˆ Paris, en a™ut 1742, sa carrire de joueur franchit une nouvelle Žtape. Dans cette ville qui est, selon le Neveu de Rameau, Ç lâendroit du monde o lâon joue le mieux aux Žchecs È, Rousseau pratiqua dans de nombreux cafŽs : Ç Jâavois un autre expŽdient non moins solide dans les Echecs auxquels je consacrois rŽgulirement chez Maugis les aprs-midi des jours que je nâallois pas au spectacle. Je fis lˆ connoissance avec M. de LŽgal, avec un M. Husson, avec Philidor, avec tous les grands joueurs dâŽchecs de ce tems-lˆ È (Confessions, livre septime). Rousseau et Diderot avaient liŽ connaissance en 1742 et ils avaient de nombreux points communs, notamment ils aimaient la musique ; la musique italienne pour laquelle ils avaient pris fait et cause lors de la querelle des Bouffons. Leurs joutes ŽchiquŽennes tournaient ˆ lâavantage de Rousseau. Au souvenir de ces parties, Diderot Žcrivit dans le Salon de 1767 (vol. III) : Ç Lâhomme ambitionne la supŽrioritŽ, mme dans les plus petites choses. Jean-Jacques Rousseau, qui me gagnait toujours aux Žchecs, me refusait un avantage qui rend”t la partie plus Žgale. ö Souffrez-vous ˆ perdre, me disait-il ? ö Non lui rŽpondais-je, mais je me dŽfendrais mieux et vous en auriez plus de plaisir. ö Cela se peut, rŽpliquait-il, laissons pourtant les choses comme elles sont È. Les confrontations ŽchiquŽennes entre Diderot et Rousseau font penser ˆ Ç une sorte de psychodrame o se dŽnouait aussi la complexitŽ de leurs rapports È, explique M. Coulon. Sur tous ces points biographiques, voir M. Coulon, Ç J.-J. Rousseau joueur dâŽchecs È, in D. SŽnŽchaud (dir.), Jeu dâŽchecs, arts et sciences humaines (colloque de Poitiers, 2002), ˆ para”tre.

En savoir plus :

H. W. Fink (dir.), Pour Philidor. Koblenz, 1994.
M. Benoit, Philidor, musicien et joueur dâŽchecs. Ed. Picard, 1995.
M. Coulon, Jeu dâŽchecs et sociŽtŽ en France au XVIIIme sicle. Ed. Septentrion, 2001.
G. Allen, The life of Philidor (1863). Reprint : Moravian Chess, 2001.
G. Walker, A selection of games at chess actually played by Philidor and his contemporaries (1835).

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